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L'ATLANTIQUE EN CESSNA 172

L'atlantique en Cessna 172..

Après notre périple dans le sud-ouest des USA, Pierre Henri Guisan et moi avons fait le projet d’acheter un Cessna 172 et de l’équiper pour l’IFR. Une leçon de notre voyage est que, si un monomoteur sans équipement de dégivrage ne se prête pas à l’IFR intensif, il permet de traverser une couche de stratus pour rentrer à la maison.

Il serait trop long de raconter pourquoi nous sommes allés chercher un C172P de 1981 en Iowa. Disons simplement qu’en janvier je suis allé le voir sur place, nous avons décidé de l’acheter et de le faire moderniser avant de le ramener ici, profitant de la faiblesse du dollar. A cette occasion, j’ai rencontré le pilote convoyeur qui devrait l’amener en Europe. A ma grande surprise, il m’a offert de l’accompagner dans le vol transatlantique, une offre difficile à refuser.

C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés un lundi d’avril en Iowa, pour amener en Europe notre 172P et un 172S allant en Angleterre. Equipage: deux convoyeurs et moi comme passager.

L'atlantique en Cessna 172..
Deux heures sur New-York

Evidemment, l’avion n’était pas prêt, il était revenu en retard de l’atelier de peinture, et les électroniciens n’avaient pas fini d’installer l’avionique malgré de longues soirées de travail. Ce jour-là, le lundi de Pâques, ils mirent les bouchées doubles pour terminer l’installation des instruments et du réservoir supplémentaire à la place du siège arrière. Petit ennui : le HSI (Horizontal Situation Indicator) envoyé en réparation n’arriverait que le lendemain matin. Le départ fut donc fixé le mardi à 9 heures, et l’avion fut brièvement essayé.

Mardi 13.04.2004

Mardi 13.04.2004

Le HSI est arrivé et installé, les factures sont payées, vers 10h on s’en va, et les ennuis commencent. La jauge de température d’huile reste à zéro, l’éclairage du tableau de bord demeure allumé quoi qu’on fasse, le débitmètre d’essence n’indique rien, et le tuyau qui va du réservoir supplémentaire au moteur fuit.

On atterrit à 50 milles de là pour faire le plein (l’essence y est moins chère qu’à notre point de départ) et parce qu’il s’y trouve une succursale de l’atelier qui a fait l’installation.

Le tuyau d’essence est vite resserré, la jauge de température est branchée correctement, le plein des réservoirs normaux et supplémentaire est fait, et on repart. Le décollage est laborieux, la montée plus encore, mais ça passe.

On essaie de prendre le cap, et le HSI commence à tourner comme une hélice. Pas question de continuer comme ça, on retourne. Le pilote teste le réservoir supplémentaire, et le moteur cale, ce qui n’est pas drôle sur un avion centré loin en arrière. Mais il repart dès que le commutateur est remis en position «both».

Une fois au sol, il constatera qu’il a posé son T au mauvais endroit. Autre mauvaise nouvelle, la COM2 de l’autre avion est en panne. L’atterrissage à pleine charge se passe bien, et les mécaniciens et électroniciens se mettent au travail. Tout est réglé, sauf la radio de l’autre avion, il faut attendre une radio de rechange prévue pour le lendemain matin. Avec ça, un vilain front monte depuis la Floride et arrive en Nouvelle Angleterre pour nous barrer la route.

Mercredi 14.04.2004

La radio est arrivée et rapidement installée, nous repartons vers 10 heures vers Sault Ste Marie, point d’entrée au Canada, atteint après quatre heures de vol. Le plan initial était d’arriver à Goose Bay le premier jour, mais pour ça il aurait fallu partir à l’aube. On perdra donc encore une journée. Les convoyeurs s’impatientent.

Les champs carrés se suivent, interrompus par le majestueux Mississippi et le lac Michigan partiellement gelé. A Sault Ste Marie, nous devons attendre le douanier et la dame de l’immigration près de l’avion, puis on fait le plein et on repart.

Mercredi 14.04.2004

Les instruments fonctionnent plus ou moins bien. On repart sur les forêts canadiennes, et après 3 heures ½ nous atteignons Val d’Or, ville prospère qui, comme on s’en doute, vit de ses mines du métal dont on fait les alliances. Comme partout au Québec, on emploie un français épuré des anglicismes. Nos régies fédérales y seraient mises à l’index ! Excellent souper pas cher à l’Amadeus, et nous allons nous coucher.

Jeudi 15.04.2004

Ce matin, nous ne sommes pas pressés. Une seule étape est prévue, six heures pour Goose Bay. Le convoyeur nous fait visiter le DC3 sur lequel il a obtenu son certificat de type.

Jeudi 15.04.2004

Pour changer, je ferai ce trajet dans le C172S avec l’autre convoyeur. Il fait très froid dans cet avion. Paysage de forêts, certaines sauvages, d’autres exploitées. Nous passons sur un des plus gros point d’impact d’un météore, gros caillou entouré d’un anneau d’eau de 70 km de diamètre.

Atterrissage à Goose Bay
Tornado Allemand

Atterrissage à Goose Bay, base créée en 1942 pour acheminer des avions vers la Grande-Bretagne, et exploitée actuellement comme base d’entraînement au vol à basse altitude par la RAF et la Luftwaffe. En courte finale, deux Tornado allemands nous survolent, font leur break et viennent se poser juste derrière nous. Nous soupons au mess de la base. Hébergement dans un bed and breakfast.

Vendredi 16.04.2004

Ce sera la plus longue journée, sinon la plus dure. Le vol vers Reykjavik doit prendre 12 heures, la dépression nous a rattrapés et tentera de nous barrer le passage sur le Groenland. Petit déjeuner à 3 heures, départ pour l’aérodrome sous une superbe aurore boréale, décollage aux premiers rayons du soleil.

Le vol vers Reykjavik
Passage sur le Groenland

Il fait beau, mais plus on avance vers le Groenland, plus les nuages deviennent denses, nous montons à 11000 pieds où notre avion surchargé s’essouffle, nous sommes à quelques nœuds du décrochage. On traverse la crête des nuages, l’avion givre un peu, le pilote joue continuellement du réchauffage de carburateur. Après cinq heures, on aperçoit la pointe méridionale du Groenland entre les nuages. Notre terrain de dégagement, Narsarsuaq, qui n’est accessible qu’en VMC de jour, est fermé, avec une visibilité de 50 m par tempête de neige. Un Cirrus parti de Goose en même temps que nous et qui comptait s’y poser est détourné vers Godthab, à 200 miles au nord.

Nous continuons vers l’Islande. La radio HF ne sert à rien. Les rapports de position se font via des avions de ligne, ce qui permet de papoter un peu. Ils doivent bien s’ennuyer là-haut.

Ecran de navigation
Nous continuons vers l'Islande

La côte islandaise apparaît, l’aéroport international de Keflavik, base étasunienne, nous tend ses longues pistes que nous dédaignons pour aller 50 km plus loin nous poser sur le vieil aéroport de Reykjavik, en pleine ville. C’est avec un bonheur rare que nous visitons les toilettes, la combinaison de survie ne permettant pas de s’épancher en vol.

Samedi 17.04.2004

Ce fut certainement la journée la plus dure. Le vol vers Wick, en Ecosse, prend normalement 6 heures, parfois 5. Notre plan de vol, calculé en fonction de la carte des vents, est de 7 heures. En réalité nous mettrons 8 heures et demie pour atteindre Wick, avec des vents de face qui parfois feront descendre notre vitesse sol à 55 nœuds.

Vol vers Wick
Les vents de face font descendre la vitesse-vol

Le départ de Reykjavik nous permet d’assister à un superbe lever de soleil et d’admirer les volcans et les geysers qui font le charme de l’Islande. Le temps est beau, mais dès que nous sommes sur l’océan, un bloc compact de stratus nous barre la route.

Le départ de Reykjavik
admirer les volcans et les geysers qui font le charme de l’Islande

L’autre avion, équipé d’un moteur à injection, monte à 11000 pieds dans la couche. Il devra cependant redescendre à cause du givrage de la cellule. Un bimoteur push-pull qui nous accompagne depuis Goose Bay fait le trajet à 17.000 pieds, juste au-dessus de la couche. Notre C172P s’installe à 1500, puis à 1200 pieds, sous une pluie battante qui ne nous quittera que lorsque l’Ecosse sera en vue.

Le départ de Reykjavik
admirer les volcans et les geysers qui font le charme de l’Islande

Les haubans et les ailes givrent un peu de temps en temps, mais le carburateur gèle constamment, obligeant le pilote à le garder ouvert à petits coups de réchauffe, en essayant de ne pas perdre trop de puissance face au vent qui nous repousse. Nous envisageons un déroutement vers les îles Faeroe, mais continuons notre route. Le pilote part en vacances le mardi matin, il n’a pas le temps de perdre encore une journée.

Les rapports de position avec Iceland Radio puis Scottish Radio se font toujours grâce aux avions de ligne, soit à notre initiative, soit à celle du contrôle qui semble s’inquiéter de notre sort. A chaque fois sans exception, le pilote de ligne nous demande, sceptique «Say again altitude ?». Un pilote de Virgin commente «This must be a microlight». Un pilote de Lufthansa veut nous envoyer une hôtesse par téléportage.

Un avion de ligne demande un déroutement immédiat vers Stornoway, car une passagère est en train d’accoucher. Finalement, il annonce laconiquement «it’s a boy».

Mardi 13.04.2004

La côte écossaise apparaît enfin, éclairée d’un rayon de soleil. J’arrive à capter un relais GSM qui me permet d’appeler mon épouse qui trouve le temps long.

Une demi-heure plus tard nous atterrissons à Wick, l’aérodrome le plus septentrional de Grande-Bretagne si on exclut les îles. Ancienne base de la Royal Navy, dotée de deux grands hangars où on entre et on se gare au moteur. La nuit tombe, il est trop tard pour travailler sur les avions, nous soupons de haggis dans un pub et dormons au-dessus d’un fish-and-chips.

Dimanche 18.04.2004

Ce matin, après un très solide petit déjeuner, trois heures de travail pour démonter les réservoirs supplémentaires abandonnés sur place et remettre les avions dans leur configuration normale. Départ vers le sud sous la pluie. Les nuages bas nous forcent à faire un détour sur la mer pour éviter le granit des montagnes écossaises. Vol sans histoire jusqu’à la banlieue londonienne, où nous laissons le 172S à son nouveau propriétaire ravi.

Vol vers Wick
Les vents de face font descendre la vitesse-vol

Nous nous tassons à trois, plus les bagages, dans le 172P, et décollons sous la pluie. Le contrôle nous fait éviter Londres par le sud, puis au milieu de la manche, entre Douvres et Calais, nous passe Lille Info.

Vol vers Wick
Les vents de face font descendre la vitesse-vol

Que notre souhait de rester à 3000 pieds laisse sceptique: « It is not very good for IFR » - « No, but icing is even worse ». De contrôleur en contrôleuse («You have a beautiful voice»), entre nuages et soleil,

nous arrivons le soir à Paris où l’avion va passer quelques jours entre les mains expertes des mécaniciens qui corrigeront les imperfections constatées pendant le vol. Le soir, champagne, excellent souper, et adieu à mes camarades de voyage.

Vol vers Wick
Les vents de face font descendre la vitesse-vol
Autheur : Jean Claude Dispaux

Article rédigé par Jean Claude Dispaux

Contact: jc@dispaux.net